« On croit souvent être au tout, quand on n’est qu’à moitié chemin et que les dernières questions ne sont pas encore abordées. Tel point que nous croyons assuré, parce qu’il a fallu de la peine pour y arriver, s’enfonce encore devant nous ; et nous devons aller chercher plus loin le point fixe et stable. » F. W. J. Schelling, Lettre à Victor Cousin du 27 novembre 1828.
Au tournant des années 1820-1830, Schelling découvre qu’il y a dans toute l’histoire de la philosophie deux grandes tendances à l’oeuvre : une tendance « négative » à concevoir le monde comme l’effet nécessaire d’un principe agissant en vertu de sa nature, une tendance « positive » à y voir au contraire le fait d’un acte libre. Scrutant cette différence, il finit par montrer qu’elle implique de scinder la philosophie même en une philosophie qui fait intervenir uniquement la raison et une philosophie où la raison se laisse instruire par l’expérience.
L’essai d’Alexandra Roux propose une interprétation nouvelle de ce moment crucial quoique méconnu de la pensée moderne où Schelling accomplit, tout en le dépassant, l’idéalisme allemand. L’auteur y montre qu’un tel dédoublement de la philosophie est fait pour libérer l’avenir de la raison et que, dans ce but, Schelling confie la réalisation des deux philosophies à un rationalisme et à un empirisme totalement inédits. Dans le rationalisme, la raison opère seule jusqu’à produire l’idée d’un principe absolu libre de poser le monde ; dans l’empirisme, elle prend appui sur l’expérience des faits de la nature et de la conscience humaine comme conscience religieuse pour pouvoir démontrer que ce principe existe.
Loin donc d’avoir voulu ou produit malgré lui le désespoir de la raison, Schelling a bien plutôt montré que la raison doit se différencier d’elle-même et par elle-même pour avoir un avenir.